Émotions et douleur
La douleur est un phénomène complexe et influencé par plusieurs facteurs. Parmi ceux-ci, on retrouve les émotions. Il peut sembler évident que la douleur, surtout si elle est persistante, peut engendrer des émotions négatives comme la frustration, l’inquiétude, l’anxiété et la dépression. Il n’est peut-être pas aussi clair pour tous que l’inverse est aussi vrai. En effet, les émotions négatives peuvent entrainer le développement de douleur ou une exacerbation de celle-ci.
Qu’est-ce que la douleur?
Tout d’abord, pour bien comprendre quels sont les facteurs qui ont un effet sur la douleur, il est important de la définir. Que ce soit en se cognant le petit orteil sur la patte d’une chaise ou pendant une crise d’appendicite, nous l’avons tous déjà ressentie. Dans ces exemples, les récepteurs nociceptifs sont stimulés, envoient un message de danger au cerveau et il en résulte de la douleur. Cependant, il y a plusieurs autres volets et éléments que nous devons considérer lors d’un évènement douloureux. Afin de vous éclairer, nous vous suggérons ce court vidéo présentant une description vulgarisée de ce phénomène complexe, qui a été réalisé par le ministère de la santé australien.
Et le rôle des émotions sur la douleur?
Vous avez probablement déjà entendu que le stress pouvait avoir une influence négative sur la douleur. Non seulement le stress, mais notre état émotif général a un impact sur la sensation d’un évènement désagréable. En fait, ce qui fait de la douleur ce qu’elle est, sa composante affective. Si elle n’était pas perçue comme déplaisante, elle n’aurait pas les mêmes effets sur notre comportement. Notre réaction face à celle-ci, soit se battre, figer ou fuir, est modulée par notre perception : plus nous la percevons désagréable, plus nous réagissons. C’est dans cette optique que le contexte et la signification de la douleur ont une influence sur la manière dont nous la voyons. Cela explique les variations de douleur entre les individus et ce, pour une même blessure. Cette variation existe aussi pour un individu se blessant de façon identique, à deux moments différents de sa vie.
Prenons comme exemple un athlète amateur qui s’est entrainé toute l’année pour courir son premier marathon. Le jour de la course, il se blesse 2 km avant la fin et ne peut terminer l’épreuve en raison d’une entorse à la cheville. Il est possible qu’il soit particulièrement affecté émotionnellement par cette blessure. La déception et le sentiment d’échec, qui peuvent y être associée, font en sorte que la douleur se montre plus intense ou plus désagréable. Ce même athlète pourrait s’être infligé la même blessure quelques années auparavant, dans un contexte anodin, et la douleur ressentie serait réellement plus basse car la situation n’impliquait pas des émotions aussi intenses que lors de son marathon.
Mais de quelle façon est-ce que les émotions influencent la douleur?
Un état émotif négatif, par exemple la rumination, augmente la perception déplaisante de la douleur, sans en augmenter l’intensité. D’une autre façon, l’état attentionnel a un impact sur l’intensité perçue de la douleur. Autrement dit, plus notre moral est bas, plus la douleur va nous sembler désagréable et plus notre attention est concentrée sur la douleur, plus celle-ci nous semblera intense.
Il est aussi important de comprendre que la douleur, particulièrement si elle est persistante, n’est pas nécessairement liée à un stimulus douloureux. En effet, il suffit d’observer un individu en douleur pour la ressentir, et ceci est encore plus vrai si c’est un être cher. Dans la douleur persistante, il y a aussi des changements par rapport au contrôle descendant de la douleur, c’est-à-dire les circuits neuronaux qui influencent la douleur à l’interne. Ceci fait en sorte que les stimuli sont perçus comme plus douloureux que chez un sujet sain. Expliqué plus simplement, il y a un changement dans les «circuits électriques» du cerveau et cela altère sa capacité à diminuer la douleur. Ce changement fait aussi en sorte que la présence d’un second stimulus douloureux, qui devrait diminuer la douleur perçue, n’a plus cet effet.
Il a même été démontré dans la littérature qu’il y a des changements structuraux, soit au niveau de la quantité de matière grise (une partie du cerveau), chez les sujets souffrant de douleur persistante par rapport aux sujets contrôles du même âge. Suite aux traitements visant à soulager la douleur, la diminution de matière grise était renversée et les régions cérébrales affectées reprenaient leurs tailles normales. Ces changements neuroanatomiques et neurochimiques combinés mènent à la conclusion que les patients avec de la douleur persistante présentent une modulation cognitive réduite ou altérée par rapport aux individus sains. Cela signifie que le cerveau perd ou change sa capacité à bien gérer les circuits responsables de la douleur.
Finalement, l’analgésie placebo a un rôle à jouer. Elle consiste en la part de soulagement qui est attribuable à notre croyance en la capacité du traitement de diminuer notre douleur, que ce soit un comprimé analgésique, une infiltration, un traitement de physiothérapie ou tout autre forme de traitement. L’anticipation d’un soulagement contribue grandement à cette analgésie puisqu’elle active les contrôles descendants de la douleur (dont les «circuits» du cerveau qui diminuent la perception de la douleur, comme expliqué plus haut). Quand quelqu’un reçoit un analgésique placebo et s’attend à voir sa douleur diminuée, il y a une activation des zones du cerveau semblables à celles activées quand une émotion positive réduit la douleur. L’analgésie placebo est indépendante de la modulation de la douleur selon l’attention puisque la réduction de la douleur s’additionne avec le placebo et la distraction.
Ainsi, un patient prenant de la médication anti-douleur ou suivant des traitements de physiothérapie peut mieux ou moins bien répondre selon ses attentes, son état émotionnel et son attention.
En conclusion, il est important de comprendre que la douleur est multi-factorielle et qu’il est important de traiter l’individu dans sa globalité. Comme il a été exposé dans ce texte, il y a de grandes différences entre les personnes et chez la même personne à deux moments différents en ce qui concerne la perception de la douleur, dépendant de son contexte et de sa signification. Il est ainsi pertinent de développer des stratégies de gestion des émotions. Comme patient, cela signifie qu’il faut être alerte à prendre soin de tous les aspects de notre santé, que ce soit émotionnelle, psychologique, physique, spirituelle, etc.
Noémi Kilfoil, physiothérapeute
Carolanne Gariépy, thérapeute en réadaptation physique et étudiante en physiothérapie à l’Université Laval
Sources :
Bushnell, M. Catherine, Marta Čeko, and Lucie A. Low. “Cognitive and Emotional Control of Pain and Its Disruption in Chronic Pain.” Nature reviews. Neuroscience 14.7 (2013): 502–511. PMC. Web. 26 Jan. 2018.